Critique : La Bête

Date de sortie
7 février 2024
Réalisation
Bertrand Bonello
Casting
Léa Seydoux, George MacKay
Durée
2h26
Genre
Drame, Romance, Science-fiction
Nationalité
France

Synopsis

« Dans un futur proche où règne l’intelligence artificielle, les émotions humaines sont devenues une menace. Pour s’en débarrasser, Gabrielle doit purifier son ADN en replongeant dans ses vies antérieures. Elle y retrouve Louis, son grand amour. Mais une peur l’envahit, le pressentiment qu’une catastrophe se prépare. »

La Bête nous plonge instantanément dans une atmosphère mystérieuse dès sa première séquence : Léa Seydoux en pleine interprétation devant un fond vert, semble menacée par une… bête . Au-delà de l’étrangeté de cette séquence d’ouverture, ces premières images annoncent un film qui brouillera continuellement la frontière entre réalité et fiction. Cette scène, étrangement déconnectée du reste du long-métrage, éveille immédiatement notre appétit de spectateur, tout en installant une tension narrative étouffante. Dès sa première séquence, La Bête nous promet une aventure cinématographique atypique, qui défie les attentes traditionnelles et convoque notre esprit d’analyse qui sera mobilisé tout au long du film

Car s’il est toujours intéressant d’appréhender une œuvre de Bonello presque “à l’aveugle”, il est de de notre devoir de vous prévenir : La Bête ne vous prendra pas par la main et ne vous fera aucun cadeau. Le film s’engage dans une narration non linéaire, entremêlant différentes époques et réalités, ce qui peut facilement dérouter les spectateurs habitués à des structures narratives plus conventionnelles. Tel un David Lynch, Bonello opte ici pour une approche énigmatique à travers un dédale narratif où chaque séquence, chaque geste peut être analysé et interprété. La mise en scène de Bonello, riche en symboles et en séquences expérimentales, incarne ainsi une épreuve de plus de 2h dont la digestion peut rapidement frôler l’indigestion pour certains spectateurs.

Passé cet avertissement, laissez-nous vous raconter notre voyage passionnant au cœur de la nouvelle folie labyrinthique de Bertrand Bonello.

Dans La Bête, Bertrand Bonello tisse une toile complexe où l’amour et la peur se côtoient et se confrontent. L’amour y est décrit comme un sentiment puissant et itinérant, capable de traverser les époques (1910, 2014 et 2044) et de défier les obstacles. Mais cet amour est constamment menacé par une peur paralysante, une “bête” métaphorique qui guette et pétrifie les personnages, les laissant dans une incertitude quant à leur capacité à s’y abandonner pleinement.

Le film pose une question centrale qui pourrait être associée à de nombreux mélodrames : les protagonistes s’abandonneront-ils enfin à l’amour qui les ronge depuis leur premier échange ? Cette interrogation soulève une certaine complexité de l’expérience humaine face à l’amour et à la peur, suggérant que ces émotions ne sont pas simplement des aspects de nos vies, mais des forces qui nous façonnent et nous définissent. Bonello crée un chaos émouvant, où différentes tonalités, genres, et séquences fortes se mêlent pour refléter la tempétueuse cohabitation de l’amour et de la peur. Cette approche donne au film un caractère inattendu, haletant, jusqu’à la terreur, où l’imprévu n’a jamais été aussi intéressant à explorer.

La Bête trouve sa force dans sa capacité à ne jamais se limiter à un genre ou à une interprétation en particulier. Cette multiplicité de cadres et d’époques soulignent subtilement l’universalité et l’intemporalité de l’amour et de la peur. En défiant les conventions narratives et en adoptant un mélange de styles inattendus, La Bête invite les spectateurs à réfléchir sur la nature de ces émotions fondamentales et sur la manière dont elles influencent nos actions et nos relations​​.

Le choix de Léa Seydoux et George MacKay pour les rôles principaux s’inscrit dans une démarche profondément réfléchie. Pour Bonello, il était essentiel que le film soit centré autour d’une figure féminine, reflétant ainsi un désir de dessiner un portrait de femme confrontée à la peur d’aimer, tout en explorant l’amour et le mélodrame à travers le prisme du cinéma de genre. Léa Seydoux, avec sa présence toujours glaciale et énigmatique et sa capacité à naviguer entre différentes époques sans perdre son essence, incarnait parfaitement cette vision. Sa manière non académique d’aborder le rôle, marquée par une certaine incertitude et un flottement, enrichi fondamentalement le personnage de Gabrielle d’une profondeur et d’une complexité exceptionnelles.

La disparition de Gaspard Ulliel, initialement pressenti pour le rôle de Louis, a conduit Bonello à rechercher un acteur anglo-saxon pour éviter toute comparaison délicate. La rencontre avec George MacKay (la tête d’affiche de 1917 de Sam Mendes) s’est révélée déterminante. L’acteur britannique a impressionné le réalisateur par sa capacité à exprimer une gamme de nuances émotionnelles sans jamais révéler ses mécanismes internes. En effet : une fois à l’écran , l’alchimie éclate au grand jour grâce à deux performances opposées dans leur approche, mais véritablement complémentaires.

La Bête puise son inspiration dans la nouvelle d’Henry James, La Bête dans la jungle (1903). Toutefois, Bonello ne se contente pas de suivre le schéma classique de l’adaptation fidèle ; il réinvente le récit en inversant les rôles traditionnels. Contrairement à l’œuvre originale, où c’est le personnage masculin qui anticipe l’arrivée d’un événement à la fois grandiose et terrifiant, dans La Bête, cette prémonition incombe au personnage féminin.

Cette modification substantielle n’est pas anodine. Bonello désirait mettre une femme au cœur de son film, tant dans le rôle principal que dans l’incarnation de ce rôle par l’actrice. Ce choix reflète une volonté de moderniser le récit et de le centrer autour d’une vision féminine. L’adaptation de Bonello s’éloigne donc considérablement du texte original de James, ne reprenant que l’idée centrale de la “bête cachée” et de la “peur d’aimer”. Les dialogues de la scène de bal, tirés directement de la nouvelle de James, incarnent ce lien indéniable avec l’œuvre originale, mais le film, dans son ensemble, transcende largement la narration de l’œuvre de 1903.

Adaptation audacieuse de l’œuvre de Henry James, La Bête doit sa réussite avant tout par l’alchimie désarmante de son duo d’acteurs. Bertrand Bonello livre ici un film qui transcende les genres, tissant un récit complexe autour de l’amour, de la peur et de l’identité à travers trois époques distinctes. Malgré une proposition radicale et abstraite à bien des égards, La Bête demeure une expérience passionnante, invitant à la réflexion et à l’exploration des émotions humaines dans toute leur complexité.

Source : Dossier de presse, La Bête – Ad Vitam

Critique : La Bête
Conclusion
Adaptation audacieuse de l’œuvre de Henry James, La Bête doit sa réussite avant tout par l'alchimie désarmante de son duo d'acteurs. Bertrand Bonello livre ici un film qui transcende les genres, tissant un récit complexe autour de l'amour, de la peur et de l'identité à travers trois époques distinctes. Malgré une proposition radicale et abstraite à bien des égards, La Bête demeure une expérience passionnante, invitant à la réflexion et à l'exploration des émotions humaines dans toute leur complexité.
Pour
L'alchimie sublime du duo Seydoux/MacKay
La multiplicité des genres
Le travail d'adaptation de l'œuvre originale d'Henry James
L'étonnante fluidité d'un récit labyrinthique
Le QR code de fin
Contre
La partie 1910 légèrement moins tranchante que la partie 2014 et 2044
4.5