Critique : La Zone d’intérêt

Date de sortie
31 janvier 2024
Réalisation
Jonathan Glazer
Casting
Christian Friedel, Sandra Hüller, Johann Karthaus...
Durée
1h45
Genre
Drame historique
Nationalité
Royaume-Uni, Pologne

Synopsis

« Le commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss, et sa femme Hedwig s’efforcent de construire une vie de rêve pour leur famille dans une maison avec jardin à côté du camp. »

10 ans après son dernier film, Under the Skin, Jonathan Glazer revient frapper un grand coup avec La Zone d’intérêt, une adaptation du roman du même nom de Martin Amis, qui nous plonge dans la complexité de la vie en 39-45, cette fois-ci à travers les yeux des bourreaux, en l’occurrence la famille du commandant du camp d’Auschwitz . Le film résulte d’une réflexion prolongée de Glazer, qui, désireux d’aborder cette période sombre de l’histoire, opte pour une perspective intime et quotidienne plutôt que les représentations habituelles de l’Holocauste. La Zone d’intérêt se distingue rapidement par son approche méticuleuse, avec un récit qui interroge notre rapport à l’histoire et à la mémoire collective, tout en explorant la banalité du mal.

La Zone d’intérêt se distingue instantanément par l’originalité de son point de vue, qui aborde la période de l’Holocauste d’une manière tout à fait singulière, et d’autant plus horrifiante. Plutôt que de se concentrer directement sur les victimes ou sur la représentation explicite de l’horreur des camps, le film choisit de placer le spectateur au sein de la vie quotidienne de la famille du commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss. Ce procédé met astucieusement en lumière la juxtaposition choquante entre le quotidien de cette famille à priori ordinaire, et l’atrocité des crimes commis juste à côté de leur petit paradis.

Ce choix de point de vue est d’autant plus audacieux car il nous oblige à nous confronter aux pires atrocités de l’âme humaine. Cette banalisation du mal dans le cadre de la vie quotidienne met en exergue la capacité humaine à cloisonner la conscience morale, permettant ainsi l’évolution d’une vie « normale » à l’ombre de crimes atroces. Avec La Zone d’intérêt, Jonathan Glazer adopte une approche quasi-documentaire, à la frontière du naturalisme. Sur le tournage, Glazer a fait installer un réseau de caméras de surveillance dans le but de capturer de véritables séquences de vie, contribuant à une sensation d’observation clinique et détachée de tout jugement.

Le film ne tombe jamais dans la facilité de l’esthétisation de la violence des camps, mais suggère continuellement son omniprésence par des moyens subtils (l’ombre perpétuelle d’Auschwitz, les cris, et les odeurs du camp en arrière-plan) et par l’utilisation d’espaces clairement délimités.

Sandra Hüller (déjà remarquable dans le récent Anatomie d’une chute, de Justine Triet) et Christian Friedel, interprètent un couple glaçant, mais toujours juste. Rudolf et Hedwig Höss, deux personnages terriblement complexes à porter à l’écran, relèvent d’un défi majeur d’interprétation. Tout au long du film, les personnages adoptent un regard vide, qui capturent implacablement l’absence d’humanité et la dissonance cognitive de cette famille privilégiée, qui justifiait ses actions par une cause supérieure tout en étant quotidiennement confrontée à la mort et à la culpabilité.

Au fil de notre visionnage, nous passons notre temps à nous questionner sur l’inventivité de la mise en scène de Glazer. Cinq premières minutes d’écran noir, accompagnées d’une musique assourdissante, des ellipses qui passent de l’obscurité à la lumière, un gros plan d’une fleur accompagné d’un fond sonore terrifiant, avant que l’image ne soit submergée de rouge. Ces choix de mise en scène sont volontairement conçus pour rompre cette étrange tranquillité de paysages verdoyants, où enfants et chien gambadent, insouciants. Le son occupe d’ailleurs une place fondamentale dans le long-métrage, de la musique hypno-terrifiante de Micachu, aux sons ambiants du voisinage, seuls rappels d’une terrible réalité prenant place derrière un grand mur de pierre.

Loin d’être une simple reconstitution historique de la Shoah, le film nous rappelle avec force le poids écrasant de notre passé. Dans une conclusion aussi brutale qu’implacable, le film ne nous laisse aucune échappatoire face à l’horreur indicible de l’Histoire. En nous confrontant à ces femmes qui, aujourd’hui, entretiennent Auschwitz, Jonathan Glazer tisse un lien direct entre le passé et notre présent.

En ces temps troublés, où l’indifférence et l’oubli gagnent du terrain, La Zone d’Intérêt se dresse comme un phare dans la nuit, nous incitant à garder les yeux grands ouverts et à rejeter avec force tout ce qui pourrait nous ramener vers les recoins les plus sombres de l’âme humaine. Sans aucun doute, le premier vrai grand frisson de cette année 2024.

Critique : La Zone d’intérêt
Conclusion
Loin d'être une simple reconstitution historique de la Shoah, La Zone d'intérêt nous rappelle avec force le poids écrasant de notre passé. En ces temps troublés, où l'indifférence et l'oubli gagnent du terrain, La Zone d'Intérêt se dresse comme un phare dans la nuit, nous incitant à garder les yeux grands ouverts et à rejeter avec force tout ce qui pourrait nous ramener vers les recoins les plus sombres de l'âme humaine.
Pour
Un point de vue novateur sur la Shoah
Une mise en scène captivante
Un duo Hüller/Friedel glaçant de justesse
Un travail sur le son absolument remarquable
Contre
4.5