Critique : Pauvres Créatures

Date de sortie
17 janvier 2024
Réalisation
Yorgos Lanthimos
Casting
Emma Stone, Mark Ruffalo, Willem Dafoe, Ramy Youssef, Margaret Qualley...
Durée
2h21
Genre
Comédie, Drame
Nationalité
Irlande, Grande-Bretagne, U.S.A.

Synopsis

« Bella est une jeune femme ramenée à la vie par le brillant et peu orthodoxe Dr Godwin Baxter. Sous sa protection, elle a soif d’apprendre. Avide de découvrir le monde dont elle ignore tout, elle s’enfuit avec Duncan Wedderburn, un avocat habile et débauché, et embarque pour une odyssée étourdissante à travers les continents. Imperméable aux préjugés de son époque, Bella est résolue à ne rien céder sur les principes d’égalité et de libération. »

De Canine (2009), qui expose une famille dans un isolement extrême, à The Lobster (2015), une satire acerbe sur la pression sociale du couple, en passant plus récemment par La Favorite (2018), qui dépeint les jeux de pouvoir dans la cour d’Angleterre du XVIIIe siècle, Yórgos Lánthimos a toujours brouillé les frontières entre le grotesque et le sublime. Ses films, souvent teintés d’un humour noir, interrogent l’identité, la liberté, et les normes sociales avec un regard à la fois critique et absurde.

Avec Pauvres Créatures, Lánthimos transcende une fois de plus les genres qui parcourent son cinéma, en mêlant comédie noire, drame, et éléments fantastiques pour créer une œuvre poético-macabre parfaitement unique. Pauvres Créatures devient ainsi une toile complexe d’inspirations classiques réinventées à travers l’ambition démesurée du réalisateur grec.

Réinterprétation innovante du mythe de Frankenstein, Lánthimos transpose l’histoire dans un cadre féminin avec Bella Baxter, une étrange créature dont le voyage rappelle évidemment la quête d’identité et d’humanité du monstre de Frankenstein. Cette adaptation modernisée explore les thèmes de la création, de l’existence et de la quête d’identité à travers le périple de Bella, évoquant ainsi les interrogations fondamentales soulevées par le classique de Mary Shelley. Parallèlement, ressort également l’influence de récits initiatiques comme Candide, dans son approche naïve et exploratoire de Bella face au monde qui l’entoure. Comme Candide, Bella entreprend un voyage initiatique, découvrant les plaisirs, les douleurs et les absurdités de la société, tout en conservant une innocence et une curiosité qui la poussent à questionner les conventions sociales et les structures de pouvoir. Ce périple offre une perspective rafraîchissante et parfois déstabilisante sur la condition humaine, emmenant le spectateur dans une exploration de la liberté, du libre arbitre et de l’émancipation des carcans sociétaux.

Grand vainqueur du Lion d’or du meilleur film à la dernière Mostra de Venise, Pauvres Créatures doit sa réussite notamment à la performance subjuguante d’Emma Stone, incarnant avec brio une créature à la fois naïve et complexe, naviguant entre innocence enfantine et découverte de sa propre humanité. En quelques plans, Emma Stone parvient à transmettre une vaste gamme d’émotions, du pur émerveillement à une spontanéité décomplexée absolument hilarante. Un tour de force éclatant qui pourrait bien la mener jusqu’à l’Oscar de la meilleure actrice, après sa victoire aux Golden Globes et aux BAFTA.

Le film brille également de par son lot de personnages secondaires, à commencer par cette incarnation de Victor Frankenstein par Willem Dafoe, qu’on n’avait pas vu aussi habité depuis The Lighthouse (2019). Mark Ruffalo, quant à lui, rompt avec ses rôles habituels pour explorer les aspects les plus sombres de l’âme humaine et masculine. Cette galerie de personnages loufoques et pleins de vie embrassent pleinement l’univers unique et absurde du film, où se mêlent innocence et perversité, folie et sagesse, dans un ballet érotique aussi libérateur qu’inattendu.

Si Pauvres Créatures peut par moments sembler céder à la tentation de l’excès, que ce soit à travers ses décors sur-fait, à la frontière du surréalisme et du kitsch, ses costumes éclatants (mention toute particulière à la costumière Holly Waddington) et ses séquences irréelles, le film parvient toujours à maintenir un équilibre narratif qui dévoile progressivement ses nuances sans jamais être éclipsé par la splendeur de sa mise en scène.

En témoigne la volonté du long-métrage d’instaurer un message féministe au fil du parcours de son personnage principal. Bien que classique dans sa forme, ce discours trouve un écho particulièrement cohérent dans le parcours de Bella Baxter, qui, libérée des contraintes patriarcales, explore le monde et sa propre identité avec une fraîcheur et une innocence qui nous rappellerait presque le Barbie de Greta Gerwig (2023).

Cette approche permet à Pauvres Créatures de ne pas se perdre dans son propre éclat, mais plutôt de se servir de ce sur plein d’idées pour enrichir l’expérience narrative du spectateur.

C’est indéniable : on frôle parfois l’overdose devant Pauvres Créatures. Cependant, loin de tous ses excès, le film nous offre une ingénieuse réécriture du mythe de Frankenstein, qui allie profondeur thématique et splendeur visuelle, le tout porté par une Emma Stone plus étincelante que jamais. Car Pauvres Créatures, c’est avant tout un geste de cinéma tellement atypique que l’on ne peut que soutenir.

Critique : Pauvres Créatures
Conclusion
C'est indéniable : on frôle parfois l'overdose devant Pauvres Créatures. Cependant, loin de tous ses excès, le film nous offre une ingénieuse réécriture du mythe de Frankenstein, qui allie profondeur thématique et splendeur visuelle, le tout porté par une Emma Stone plus étincelante que jamais. Car Pauvres Créatures, c'est avant tout un geste de cinéma tellement atypique que l'on ne peut que soutenir.
Pour
Emma Stone, qui file tout droit vers l'Oscar
De merveilleux décors surréalistes
Des costumes somptueux
Une superbe galerie de personnages secondaires
Contre
Un discours féministe un peu trop classique
Un final peu convaincant
4