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Synopsis
« Surqualifiée et surexploitée, Rita use de ses talents d’avocate au service d’un gros cabinet plus enclin à blanchir des criminels qu’à servir la justice. Mais une porte de sortie inespérée s’ouvre à elle, aider le chef de cartel Manitas à se retirer des affaires et réaliser le plan qu’il peaufine en secret depuis des années : devenir enfin la femme qu’il a toujours rêvé d’être. »
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Bien loin des sentiers de ses derniers succès (De rouille et d’os, Dheepan, et Un prophète…), Jacques Audiard fait son grand retour un retour avec Emilia Perez, 3 ans après une décevante sortie de route avec Les Olympiades. Et quel retour !
Récompensé lors du dernier Festival du Cannes par le Prix du Jury et le Prix d’interprétation féminine pour son trio d’actrice, Emilia Pérez se révèle être une comédie musicale complètement inattendue qui mélange les genres avec une audace et une exubérance inhabituelles chez Audiard. Inspiré par un personnage secondaire du roman Écoute de Boris Razon—une femme trans narcotrafiquante—Audiard a su se saisir de cette idée pour en concocter une œuvre cinématographique totalement atypique.
Le film raconte l’histoire de Rita, une jeune avocate talentueuse, incarnée par Zoé Saldaña, dont la carrière stagne sous l’autorité d’un supérieur qui refuse de la laisser briller. Sa vie prend un tournant inattendu lorsqu’elle est kidnappée par Manitas Del Monte, un redoutable chef de cartel mexicain, joué par Karla Sofía Gascón. Manitas a un plan bien particulier : il souhaite changer de sexe et devenir la femme qu’il a toujours voulu être, Emilia Pérez. Cette transition marque non seulement un changement physique, mais aussi une tentative de rédemption et de rupture avec son passé criminel.
On vous l’accorde, à première vue le pitch d’Emilia Pérez pourrait facilement prêter à sourire, possèdant tous les critères d’un projet glissant, de par son utilisation de thématiques contemporaines telles que la transidentité. Cependant, au cœur du scénario d’Audiard et de ses co-scénaristes Thomas Bidegain et Léa Mysius, chaque élément de cette intrigue apparemment casse-gueule, trouve une résonance plus profonde, abordant des questions de genre, d’identité et de rédemption avec une sensibilité inattendue.
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Emilia Pérez est un film qui embrasse l’excès et le chaos avec une maîtrise impressionnante. Audiard navigue avec aisance entre les genres—du drame intime à la comédie burlesque, du film noir au thriller—sans jamais perdre le fil narratif ni l’engagement émotionnel du spectateur. Les séquences chantées et dansées, loin d’être des ajouts superficiels, s’intègrent parfaitement dans la trame narrative, contribuant à créer une expérience cinématographique immersive et captivante. Audiard évite les pièges du kitsch facile, offrant à la place une œuvre qui, bien que flamboyante, conserve une profondeur thématique et une cohérence artistique.
L’influence des soap operas latins et du succès récent d’Annette de Léos Carax, est particulièrement palpable, notamment dans l’utilisation du mélodrame et d’une esthétique exagérée. Pourtant, Emilia Pérez ne se contente pas d’emprunter ces codes ; le film les réinvente, les transcende, pour créer un univers où la réalité des émotions prime sur celle des faits. C’est ce basculement constant entre le réel et l’irréel, entre la farce et la tragédie, qui confère au film sa force et son originalité.
Le film doit une grande partie de son succès à ses actrices principales, qui livrent des performances remarquables. Zoé Saldaña (Avatar, Les Gardiens de la Galaxie) incarne Rita avec une complexité et une intensité qui rendent son parcours d’autant plus poignant. Son personnage, frustré par les contraintes de sa vie personnelle et professionnelle, trouve une nouvelle direction et une forme de libération en aidant Manitas à devenir Emilia.
Selena Gomez surprend par sa prestation dans le rôle de Jessi Del Monte, la femme de Manitas. Son interprétation est chargée d’émotions, apportant une profondeur à un personnage déchiré entre son amour pour Manitas et son désir de liberté. Gomez parvient à capturer la vulnérabilité et la force de Jessi, offrant l’une des performances les plus émouvantes de sa carrière.
Enfin, Karla Sofía Gascón est tout simplement époustouflante dans le rôle-titre. Incarnant à la fois Manitas et Emilia Pérez, Gascón apporte une authenticité bouleversante à son personnage, faisant écho à sa propre expérience de la transidentité. Même si la danse et le chant ne sont pas ses points forts, elle réussit à infuser chaque scène d’une émotion brute qui transcende les compétences techniques. Sa performance lui a valu, ainsi qu’à ses co-stars, un Prix d’interprétation féminine collectif au Festival de Cannes 2024, une reconnaissance méritée pour un travail d’une telle intensité.
La bande-originale du film, avec des compositions de Clément Ducol et Camille, ainsi que des chorégraphies signées Damien Jalet, est une véritable réussite. Les numéros musicaux ne sont jamais gratuits ; ils servent le récit et amplifient les émotions des personnages, rendant l’expérience du film d’ores et déjà inoubliable.
Emilia Perez, à la fois monstrueux et magnifique, incarne ce que le cinéma peut offrir de plus déjanté et de plus passionnant. Audiard ne se contente pas de jouer avec les conventions ; il les explose, invitant le spectateur à une danse folle où chaque moment est imprévisible, chaque émotion amplifiée.
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